Le manager comme traducteur du changement

« Et toi, t’en penses quoi ? »

La question a fusé en plein open space. Anne venait d’annoncer une réorganisation à ses équipes. Elle savait que la décision venait d’en haut, que personne n’avait vraiment consulté les managers. Pourtant, elle devait en porter le message, l’incarner même. Mais face au regard franc d’un collaborateur, elle a hésité. Que répondre quand on n’adhère pas vraiment, mais qu’on doit embarquer les autres ?

Dans beaucoup d’organisations, ce type de scène se répète. Le manager n’est plus simplement un relai d’information : il devient le traducteur d’un changement qu’il n’a pas choisi.

Le manager comme traducteur du changement

La médiation managériale : une position en tension

Dans un contexte de transformation, le manager joue un rôle de médiateur opérationnel : il reformule, il rend audible, il explique. Mais ce rôle n’est pas neutre. Il suppose une prise de risque relationnelle permanente.

Selon une étude présentée par MyRHline, 61 % des managers affirment devoir faire appliquer des décisions dont ils ne maîtrisent pas le sens stratégique [1]. Cette zone grise crée une tension identitaire forte : comment incarner un message qu’on ne comprend pas ?

« J’ai dû annoncer une réorganisation que je découvrais en même temps que mes équipes. Le discours était rodé, mais à aucun moment on ne m’a demandé si j’y croyais. »

(Claire, responsable d’équipe dans une entreprise de services) [2]

Traduire sans trahir : un équilibre fragile

Face à ce paradoxe, nombreux sont ceux qui adoptent une posture de protection. Ils livrent le message officiel, mais en prenant leurs distances :

« Je vous dis ce qu’on m’a dit, mais… »

Ce glissement, fréquent et humain, rassure à court terme, mais use la légitimité à long terme. Il entretient une ambiguïté qui finit par brouiller les repères : qui décide vraiment ? Qui incarne quoi ?

Dans le podcast L’Entreprise de Demain, un manager du secteur mutualiste confie :

« À force de nuancer, de temporiser, je ne savais plus ce que je pensais moi-même. J’étais un relais sans voix. » [3]

La frontière est mince entre ajustement bienveillant et effacement complet. Une fois franchie, il devient difficile de se réapproprier une parole claire.

Poser ses mots, même dans l’incertitude

Traduire avec intégrité, ce n’est pas défendre à tout prix. C’est oser contextualiser, reconnaître ce qu’on ne sait pas, relier une décision à un objectif plus large, tout en respectant les doutes.

Une DRH interrogée par Parlons RH résume ainsi l’enjeu :

« On ne demande pas au manager d’être aligné à 100 %, mais de rester lisible. C’est ce qui fait la différence entre un exécutant et un leader. » [4]

Cette lisibilité managériale ne passe pas par la transparence totale, mais par une cohérence visible dans les actes, les mots, et les silences.

Et dans certaines entreprises, ce droit à la nuance devient une pratique assumée. Sur Welcome to the Jungle, plusieurs managers partagent leurs stratégies pour relayer une décision difficile tout en préservant la confiance :

« Même si on n’est pas d’accord, on peut incarner une posture claire. Ce qui compte, c’est la manière. » [5]

Pour traduire, encore faut-il pouvoir interpréter

Le rôle de traducteur suppose aussi d’avoir accès au sens, pas uniquement au message. Or, dans de nombreuses organisations, les managers reçoivent des directives descendantes sans vision globale. On leur demande de faire appliquer une stratégie, sans leur expliquer la logique, les enjeux ou les marges d’évolution.

C’est là que s’opère la vraie fracture. Un manager privé d’informations devient un simple porte-voix. À l’inverse, un manager qui comprend le cap peut, même en désaccord partiel, en proposer une lecture sincère et mobilisatrice.

Traduire, ce n’est donc pas transmettre à l’identique : c’est interpréter pour faire sens. Mais ce travail d’interprétation n’est possible que si l’on a été, au minimum, inclus dans le processus de construction du changement.

Conclusion

Être traducteur du changement, c’est marcher sur une ligne étroite : dire sans mentir, ajuster sans manipuler, transmettre sans trahir. C’est un travail d’équilibriste, souvent invisible, mais essentiel à la cohésion collective. Encore faut-il que les organisations cessent de traiter la loyauté comme un silence, et la sincérité comme une faiblesse.

À retenir

  • Le manager est souvent un interprète du changement, pas un simple messager.

  • Traduire une décision sans y croire peut conduire à une dissonance identitaire.

  • Le double discours fragilise la légitimité managériale à moyen terme.

  • L’intégrité relationnelle passe par l’authenticité, même dans l’incertitude.

  • Pour jouer ce rôle, les managers doivent être équipés, informés et écoutés.

Sources & références

  1. MyRHline (2023). Résultats du baromètre 2023 candidats vs RH. 61 % des managers disent appliquer des décisions mal comprises. Lire l’article
  2. Magazine du Management de Transition (2025). Témoignages de managers de transition : leurs plus grands défis. Lire l’article
  3. L’Entreprise de Demain (2023). Podcast : Le manager, entre convictions et contraintes. Écouter l’épisode
  4. Parlons RH (2023). Management : les salariés et la transformation managériale. Lire l’article
  5. Welcome to the Jungle (2023). Managers : comment gérer le désaccord avec sa hiérarchie ? Lire l’article

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