La défiance envers les managers : un symptôme de modèle dépassé ?
Critiqués, contournés, parfois ignorés : les managers ne font plus l’unanimité. Cette défiance, perceptible dans les enquêtes internes comme dans les conversations informelles, interroge : est-elle le signe d’un malaise passager ou le révélateur d’un modèle managérial en fin de course ? Entre surcharge structurelle, perte de sens et mutations culturelles, l’autorité managériale traverse une zone de turbulence. Cet article en explore les racines et propose des pistes pour penser autrement le rôle du manager.

Un malaise qui s’installe dans les organisations
Selon le baromètre Empreinte Humaine 2023, 42 % des salariés estiment que leur manager n’a pas les moyens d’exercer son rôle correctement [1]. Plus qu’un désaveu individuel, cette perception traduit une perte de confiance dans la fonction elle-même.
Dans une grande collectivité territoriale, un agent raconte : « Mon manager est constamment débordé, pris entre les demandes de la direction et les urgences opérationnelles. Il est sincère, mais il ne décide plus de rien. » Ce témoignage résume un sentiment diffus : le manager n’est plus un repère, mais un rouage coincé.
Trois facteurs qui nourrissent la défiance
La défiance managériale ne naît pas d’un rejet de l’autorité en soi, mais de trois failles systémiques :
- Une dilution des responsabilités : le manager d’aujourd’hui se retrouve à piloter sans leviers. La multiplication des référents (QVT, RSE, digital, etc.) fragmente son périmètre d’action.
- Des injonctions paradoxales : être à la fois proche et distant, garant du cadre et soutien bienveillant, stratégique et disponible. Résultat : une surcharge cognitive et émotionnelle qui altère la qualité de la relation.
- Une exigence accrue de sens et de cohérence : les équipes ne se contentent plus d’un manager technicien. Elles attendent une incarnation, un alignement entre les discours et les actes. Or, selon une enquête Ifop pour Syndex (2024), 61 % des salariés considèrent que leur manager applique des directives qu’il ne partage pas [2].
Un rôle désincarné dans des structures figées
Dans beaucoup d’organisations, le rôle de manager reste prisonnier d’une logique de contrôle, de reporting et de verticalité. Même les entreprises dites “agiles” reproduisent parfois, sous une apparente horizontalité, des formes d’injonction implicite.
Claire, manager dans un cabinet de conseil, explique : « On nous demande d’accompagner nos équipes, de développer leur potentiel… mais nos propres objectifs sont exclusivement financiers. Cette tension me rend illégitime. »
Ce type de dissonance fragilise l’autorité symbolique du manager. Il ou elle devient un “transmetteur de pression” plutôt qu’un appui. Ce glissement alimente la distance émotionnelle et l’érosion de la confiance.
Des modèles alternatifs émergent
Face à cette défiance, certaines entreprises tentent autre chose. Chez MAIF, les équipes fonctionnent en autonomie partagée, avec un encadrement plus horizontal. Le rôle de manager est repensé comme animateur de communauté, garant du cadre collectif mais non surplombant [5].
Dans une société d’ingénierie, un manager témoigne : « On a revu nos pratiques de reporting. Moins de tableaux, plus de dialogues. Le temps de “one-to-one” est devenu une priorité stratégique. Résultat : moins de turnover, plus d’engagement. »
Ces expériences montrent qu’il ne s’agit pas de supprimer le management, mais de le reconfigurer. La légitimité ne peut plus s’imposer. Elle se construit dans la clarté, la disponibilité et la cohérence.
Que faire quand la défiance est installée ?
- Assumer les zones d’impuissance : dire ce qu’on ne peut pas changer plutôt que feindre d’agir.
- Créer des espaces de parole sincères : sortir du reporting pour entendre les frustrations, les désaccords, les besoins.
- Relire collectivement les missions : redonner du sens à l’action managériale en impliquant les équipes sur les finalités.
- Demander du feedback : accepter le regard critique des collaborateurs pour ajuster sa posture. Selon le baromètre Cegos (2024), seuls 38 % des managers interrogent leurs équipes sur leur mode de fonctionnement [3].
Ces leviers ne sont pas miraculeux. Mais ils marquent un déplacement : le manager n’est plus seulement celui qui décide, mais celui qui fait lien — parfois, qui doute avec les autres.

Conclusion
La défiance envers les managers n’est pas une dérive individuelle. C’est le symptôme d’un modèle qui peine à se réinventer. En continuant à valoriser des rôles de contrôle sans levier réel, on crée du désengagement, de la confusion et une perte d’impact. Repenser le rôle managérial, c’est accepter d’en faire un espace relationnel, politique et collectif. C’est aussi le seul moyen d’en restaurer la légitimité, autrement qu’à travers la seule autorité statutaire.
À retenir
- La défiance envers les managers résulte d’un écart entre attentes contemporaines et rôles figés.
- Dilution des responsabilités, injonctions paradoxales et perte de sens alimentent le malaise.
- Des modèles alternatifs montrent qu’un management horizontal et incarné est possible.
- La reconstruction de la confiance passe par la clarté, l’écoute et la remise en question.
- Le manager de demain est un facilitateur de sens, pas un simple relai hiérarchique.
Sources & références
- Empreinte Humaine (2023). Baromètre T12 : État psychologique des salariés français. Données sur la perception du rôle managérial. Lire l’article
- Syndex & Ifop (2024). 6e Baromètre sur l’état du dialogue social en France. Enquête sur la relation au travail et la perception des managers. Lire l’article
- Cegos (2024). Baromètre international : Transformations, compétences et learning. Enquête annuelle sur les pratiques et attentes managériales. Lire l’article
- France Stratégie (2024). Travailler dans la fonction publique : le défi de l’attractivité. Analyse prospective sur les transformations des rôles managériaux. Lire l’article
- MAIF (2023). Une gouvernance démocratique. Présentation de l’organisation participative de la MAIF. Lire l’article