Feedback sincère ou manipulation subtile ?
On parle beaucoup de culture du feedback. Mais sous la surface, tous les retours ne se valent pas. Entre pédagogie sincère, timing stratégique et messages déguisés, certains feedbacks ont l’apparence du dialogue… et la mécanique du contrôle. Cet article explore ces zones grises du management : là où l’intention affichée d’aider masque parfois une volonté de diriger, d’influencer, ou de se dédouaner.

Scène d’ouverture : “Je croyais qu’il voulait m’aider”
Dans une entreprise de services numériques, Antoine, développeur senior, reçoit un feedback enthousiaste de son manager.
« Tu as vraiment progressé en gestion de projet, bravo. »
Deux jours plus tard, on lui annonce une mutation sur un poste plus transversal — qu’il n’a ni demandé, ni souhaité. Il refuse.
Le ton change :
« Tu me déçois. Je pensais que tu voulais évoluer. »
Ce qui ressemblait à un encouragement s’est révélé être une préparation à une annonce unilatérale. Antoine dira plus tard :
« J’ai compris que ce feedback n’était pas pour moi, mais pour lui. »
Feedback : outil de développement ou outil d’influence ?
Selon une restitution récente de l’ANDRH sur les leviers de leadership, le feedback est présenté comme un pilier de la sécurité psychologique.
Mais dans les faits, seulement 28 % des collaborateurs disent recevoir des retours qu’ils jugent honnêtes et utiles [2].
Comme tout outil, le feedback est ambivalent. Il peut éclairer… ou être brandi comme un instrument.
Le “feedback sandwich” : sincérité tempérée ou stratégie d’évitement ?
C’est l’un des rituels RH les plus diffusés : commencer par un compliment, insérer une critique, finir par un encouragement.
Sauf qu’à force de recette, la formule s’use. Un manager chez Capgemini le reconnaît dans Focus RH :
« Le sandwich m’aidait à me sentir bien quand je devais faire une remarque. Mais les équipes y voyaient un format, pas une attention réelle. »
Résultat : le message est perçu comme mécanique, voire manipulateur.
Le SAV du Manager y consacre un épisode entier :
« Quand votre feedback est une mise en scène, il n’est plus crédible. »
Le timing du feedback : opportunité ou opportunisme ?
Un feedback est rarement neutre dans son moment.
Le donner juste avant une négociation salariale, juste après une erreur, ou en amont d’un entretien annuel n’a pas la même portée.
Un coach professionnel interviewé par MyRHline alerte :
« Certains managers attendent le bon moment pour faire passer un message qu’ils n’osent pas assumer frontalement. Le feedback devient un moyen détourné d’orienter les décisions. »
Et quand le salarié le perçoit… c’est la confiance qui s’effrite.
“Je suis déçu” : le feedback qui culpabilise
Autre forme glissante : le chantage émotionnel.
Derrière le classique “Je ne m’attendais pas à ça de ta part” ou “Tu me fais douter”, il ne s’agit plus d’aider, mais de faire peser une responsabilité affective.
Ce type de formulation déstabilise, fragilise, isole.
Selon une analyse de Cegos, ces expressions augmentent le stress perçu, surtout chez les profils juniors ou perfectionnistes.
“C’est pour ton développement”… vraiment ?
Un collaborateur reçoit un feedback appuyé sur ses “points de progrès”, et dans la foulée, plus de responsabilités, plus de tâches, sans reconnaissance.
La promesse ? “C’est pour ton évolution.”
Mais la réalité ? Un glissement subtil de la charge de travail vers la disponibilité sans compensation.
C’est ce que pointe une analyse de Proaction International sur les dérives managériales :
« Le feedback n’est plus un échange, mais un alibi pour ajuster la charge. »
Feedback sélectif : dire à certains, pas à d’autres
La plus silencieuse des manipulations reste celle de l’omission.
Faire des retours constants à une partie de l’équipe, en ignorer d’autres. Donner du feedback uniquement quand un enjeu est stratégique.
Ce silence différentiel installe une hiérarchie implicite de valeur.
Une enquête Qualtrics montre que 63 % des salariés ne savent pas pourquoi ils reçoivent (ou non) du feedback. Pour eux, l’inégalité perçue crée du ressentiment.
Conclusion
Le feedback est une pratique noble. Mais il n’est pas neutre.
Quand il est utilisé sans conscience, il brouille la relation, quand il est instrumentalisé, il affaiblit la confiance. Et quand il est déséquilibré, il creuse les écarts.
Offrir un retour sincère, ce n’est pas seulement dire quelque chose de juste.
C’est choisir pourquoi, quand, comment, et à qui on le dit.
À retenir
- Un feedback sincère peut devenir manipulateur s’il masque une intention stratégique.
- Le timing, la forme et la récurrence du feedback influencent sa perception plus que son contenu.
- Le feedback sandwich, mal utilisé, installe un rituel vide de sens.
- La manipulation émotionnelle (“Je suis déçu”) fragilise la relation managériale.
- Donner ou taire un feedback façonne une culture implicite d’inclusion… ou d’exclusion.
Sources & références
- ANDRH. Université ANDRH 2024 – Cahier des restitutions. Synthèse des réflexions sur les cadres systémiques et la sécurité psychologique dans les organisations. Lire le document
- Qualtrics (2023). 2023 State of HR Report. Analyse des tendances RH, incluant les priorités des leaders RH et l’importance de l’expérience collaborateur. Lire le rapport
- Focus RH. Nos entreprises doivent améliorer leur culture du feedback. Analyse des limites actuelles des pratiques de retour d’information. Lire l’article
- Cegos. Le feedback managérial : entre outil et piège. Analyse sur les formulations toxiques. Lire l’article
- Proaction International. Quand le feedback devient un prétexte. Étude sur les dérives de posture managériale. Lire l’article