Autorité vs légitimité : pourquoi obéit-on à un manager ?
Obéir à un manager ne va plus de soi. Entre rejet de l’autorité formelle, quête de sens et besoin de reconnaissance mutuelle, la légitimité managériale devient une construction fragile, mais décisive. Ce n’est plus le rôle qui impose le respect : c’est l’attitude, la cohérence, l’impact.

« Parce que c’est lui » ? Scène d’ouverture : un refus poli mais révélateur
— « Je suis désolée, mais je ne peux pas suivre cette décision sans comprendre à quoi elle sert. »
Le ton est calme. La voix posée. Mais dans le silence qui suit, une frontière invisible vient d’être franchie.
C’était lors d’une réunion stratégique, chez un acteur français de l’assurance mutualiste. Clara, cadre expérimentée, venait de refuser l’application d’une directive régionale, pourtant validée en comité de direction.
Son manager, nouveau venu, avait brandi l’autorité de son poste. Mais dans cette organisation où l’engagement repose sur la confiance et la concertation, cela ne suffisait pas.
Ce jour-là, ce n’est pas la hiérarchie qui a parlé le plus fort. C’est l’écart entre autorité et légitimité qui a sauté aux yeux.
Dans un monde où l’on n’obéit plus « par défaut », la question devient centrale : pourquoi écoute-t-on encore un manager ? Est-ce parce qu’il en a le pouvoir ? Parce qu’il nous inspire ? Ou parce qu’on lui reconnaît une compétence utile ? Déconstruire cette mécanique est plus que jamais une exigence éthique et stratégique.
L’autorité formelle : une ressource qui s’épuise vite
Dans les organisations pyramidales, l’autorité découle d’un poste, d’un organigramme, d’un contrat. Elle est verticale, explicite, rattachée à une logique de subordination. Mais ce pouvoir statutaire, s’il est indispensable pour structurer l’action, ne garantit plus l’obéissance en pratique.
Une étude menée par Malakoff Humanis en 2023 montre que seuls 47 % des salariés estiment que leur manager est légitime dans son rôle [1]. L’écart se creuse dans les entreprises en transformation, où les décisions sont plus complexes, les équipes plus autonomes, et les attentes plus élevées.
Autrement dit : le titre ne fait plus l’autorité. L’autorité formelle fonctionne comme une monnaie dont la valeur perçue diminue dès qu’elle est utilisée sans discernement. Plus un manager s’y réfère sans prendre en compte le terrain, plus il perd en crédibilité.
Le charisme : un moteur puissant, mais instable
À l’opposé du pouvoir institutionnel, le charisme repose sur la relation et l’émotion. Il s’incarne dans une posture, une énergie, une manière de mobiliser. Il attire plus qu’il n’impose.
Certaines figures managériales inspirent parce qu’elles incarnent une vision claire, un engagement sincère, une capacité à traverser l’incertitude avec constance. C’est ce que soulignait une enquête menée par The Boson Project : les collaborateurs cherchent des leaders « habités », pas seulement compétents [2].
Mais le charisme est une ressource instable. Il fluctue selon les contextes, les équipes, les attentes. Et il peut aussi masquer un déficit d’exemplarité. L’histoire récente d’Uber sous le management de Travis Kalanick en est un exemple frappant : charisme fondateur, mais légitimité contestée en interne, jusqu’à sa démission en 2017 [3].
Ce qui nous amène à un troisième pilier souvent sous-estimé : la compétence démontrée, au service d’une cause partagée.
La légitimité : une construction quotidienne
Dans un rapport de l’ANACT publié en 2022, les chercheurs rappellent que la légitimité managériale ne se décrète pas : elle se construit par la preuve, la reconnaissance et la congruence entre discours et actes [4].
C’est ce que confirme Isabelle Chamiot-Maitral, ancienne DRH de la Macif : « On n’obéit plus à un manager pour son titre, mais pour la cohérence entre ce qu’il dit et ce qu’il fait. » Dans les collectifs agiles ou hybrides, la légitimité devient un actif relationnel fondé sur la valeur ajoutée perçue.
Elle suppose :
- Une capacité à faire comprendre les décisions, même impopulaires
- Une posture d’écoute et de responsabilité partagée
- Une compétence démontrée sur les sujets clés de l’équipe
• Et surtout, un alignement visible entre les valeurs incarnées et les comportements observés

Quand l’éthique interroge la légitimité
Un manager peut-il être obéi s’il défend des directives qu’il juge contraires à ses convictions ? C’est l’un des dilemmes les plus fréquents en situation réelle.
Dans une enquête menée par le Centre Éthique et Management de Toulouse, près de 60 % des managers déclarent avoir déjà transmis une décision avec laquelle ils étaient en désaccord éthique [5]. Certains justifient leur posture par loyauté, d’autres par devoir de fonction. Mais beaucoup reconnaissent que cette dissonance affaiblit leur autorité… et leur rapport à eux-mêmes.
Le sociologue Philippe Davezies souligne que ce genre de conflits entraîne une forme de souffrance éthique, notamment chez les managers de proximité [6].
C’est là que la notion de légitimité retrouve toute sa portée : elle repose aussi sur l’authenticité perçue. Et cette authenticité passe par le courage de nommer les tensions, de faire preuve de discernement, voire de désobéir lorsque l’injonction va à l’encontre du sens.
Conclusion – Obéir à une personne, pas à une fonction
Dans un monde complexe, transversal, sous tension, le management par la contrainte est une impasse. Ce qui fait l’autorité d’un manager, ce n’est plus son titre ni son charisme, c’est la légitimité qu’on lui reconnaît dans l’action.
Et cette légitimité est une conquête, pas un acquis. Elle repose sur l’alliance entre clarté, cohérence, engagement et sens partagé.
La question n’est donc plus : « Pourquoi obéit-on ? » Mais plutôt : « À qui a-t-on envie de dire oui ? »
À retenir
- L’autorité formelle s’épuise si elle n’est pas relayée par du sens et de la cohérence.
- Le charisme inspire, mais ne suffit pas à garantir la légitimité managériale.
- La compétence reconnue et la clarté dans l’action renforcent l’adhésion.
- La légitimité se construit par l’exemplarité, la communication et la reconnaissance mutuelle.
- Les dilemmes éthiques fragilisent l’autorité perçue si le manager n’assume pas sa posture.
Sources & références
- Malakoff Humanis (2023). Baromètre Santé des salariés 2023. Étude sur la perception des rôles managériaux. Lire l’article
- The Boson Project. Les nouveaux visages du leadership. Enquête auprès de 2 000 salariés français. Lire l’article
- The Guardian (2017). Travis Kalanick resigns as Uber CEO. Chronique d’une perte de légitimité interne. Lire l’article
- ANACT (2022). Résultats du sondage sur les actifs et le sens au travail. Analyse des déterminants de la légitimité. Lire l’article
- Santé Mentale (2017). Management, conflits de valeurs et dilemmes éthiques dans les organisations de soin aujourd’hui. Enquête qualitative nationale. Lire l’article
- Philippe Davezies (2019). Plaisir et souffrance dans le travail. Revue Santé et Travail. Lire l’article