Piloter la performance en restant humain : mission impossible ?

Les chiffres rassurent, structurent, orientent. Mais à force d’optimiser, on oublie parfois l’essentiel : les personnes derrière les indicateurs. Comment piloter la performance sans se transformer en contrôleur déconnecté ? Témoignages croisés de managers pris dans cette tension.

Piloter la performance en restant humain : mission impossible ?

Derrière les chiffres, des personnes

« Mon tableau de bord est vert. Mon équipe est à bout. »

Claire, 39 ans, manage une équipe de six consultants dans un cabinet de conseil RH. Elle a tout bien fait : points hebdos, revues d’activité, outils digitaux. Mais les visages de son équipe ne mentent pas : fatigue, désengagement, questionnements silencieux.

« Ce que me disent mes indicateurs, ce n’est pas ce que me renvoient les visages. »

Dans une enquête BVA People Consulting de 2023, 68 % des salariés déclarent que leur entreprise ne prend pas suffisamment en compte leur bien-être [1].

La quadrature du cercle ? Pas nécessairement. Mais un signal clair : ce qu’on mesure ne dit pas tout de ce qui compte.

Le risque d’un management désincarné

Marc, ancien manager dans une société de services numériques (300 salariés, secteur IT), résume l’impasse :

« On passait plus de temps à faire des reporting qu’à parler des vrais problèmes. J’étais devenu un analyste interne. Pas un manager. »

À force de piloter via des outils, certains perdent le contact direct. Ce n’est pas une question d’intention, mais de système.

Un article de Parlons RH souligne que la culture managériale est un vecteur de transformation de l’entreprise au service du bien commun. Elle relie l’humain et la performance, et une culture trop tournée vers la performance peut abîmer les collaborateurs [2].

Autrement dit : plus on professionnalise le pilotage, plus on peut se couper du réel. Pas par négligence. Par saturation.

Le mirage de la maîtrise

Dans un atelier de co-développement animé en 2024 par l’Anact, Sophie, 42 ans, manage une équipe de 15 personnes dans une association d’insertion professionnelle (secteur BTP, région lyonnaise). Les yeux dans le vague, elle partageait ce constat amer :

« On veut tout suivre, tout mesurer, tout anticiper. Mais on perd le lien. Je ne vois plus mes collègues comme avant. Je les consulte… à travers un outil. »

Ce pilotage par proxy entraîne un glissement : on passe de la présence à la supervision, de la relation au processus.

Et vous ? Combien de fois cette semaine avez-vous dit “oui” à un indicateur en sachant qu’il vous éloignait de votre mission ?

Le courage de ralentir

Claire se souvient d’un moment clé :

« Un lundi, j’ai arrêté la réunion pour demander : “Est-ce qu’on est encore alignés sur notre cap ?” Ça a surpris. Mais ça a tout changé. On a recommencé à parler métier. Pas reporting. »

Cette décision, anodine en apparence, rompt avec une logique d’alignement automatique. Elle marque un retour à l’intention.

Ce ralentissement suppose aussi d’accepter de décevoir sa hiérarchie, de renoncer à une certaine image de manager “réactif”. Un inconfort que beaucoup préfèrent éviter.

Pourtant, c’est peut-être là que réside le vrai pilotage : celui qui donne du sens, pas juste de la vitesse.

Quand le pilotage devient collectif

La MAIF a fait un choix radical : supprimer les objectifs individuels chiffrés pour favoriser la coopération. Résultat ? Des résultats commerciaux maintenus… et une dynamique collective renforcée [3].

Cette démarche n’est pas une lubie. C’est un rééquilibrage. Elle rappelle que la performance n’est pas l’ennemie de l’humanité, à condition qu’elle ne la dévore pas.

Un manager y témoignait :

« On m’a rendu mon rôle : accompagner les gens. Pas les chiffres. »

Un réarmement éthique du rôle managérial

France Stratégie l’affirme dans son rapport 2023 : « Repenser les modes de management suppose de clarifier les finalités, pas seulement les moyens » [4].

Piloter, ce n’est pas aligner. C’est arbitrer. Expliquer. Protéger parfois. Dire non quand les moyens manquent. Rappeler que toute performance a un coût humain – et qu’il n’est pas toujours acceptable.

Ce réarmement éthique passe par une reconnaissance du terrain. Mais aussi par une confiance dans la capacité des managers à réguler, et pas seulement à exécuter.

Conclusion

Piloter la performance en restant humain, ce n’est pas une utopie. C’est une exigence de survie. Pour les équipes. Pour les managers eux-mêmes.

Le rôle managérial ne peut pas se réduire à un cockpit d’indicateurs. Il demande une présence, une écoute, une posture.

Revenir à cette humanité du pilotage, c’est restaurer la confiance, le sens… et l’efficacité durable.

À retenir

  • Derrière des indicateurs “au vert”, la réalité du terrain peut être ignorée [1]
  • Le pilotage numérique déconnecte parfois les managers de leur rôle relationnel [2]
  • Certaines entreprises, comme la MAIF, renoncent aux objectifs chiffrés individuels pour restaurer du collectif [3]
  • Un pilotage plus humain suppose un cadre managérial repensé autour du sens [4]

Sources & références

  1. BVA People Consulting (2023). Baromètre QVCT des salariés Français – Vague N°3. 68 % des salariés déclarent que leur entreprise ne prend pas suffisamment en compte leur bien-être. Lire l’article
  2. Rigolé, G. (2025). La culture managériale relie l’humain et la performance. Parlons RH. Analyse des effets d’une performance déconnectée de l’humain. Lire l’article
  3. MAIF (2023). Rapport annuel 2023. Suppression des objectifs individuels chiffrés pour favoriser la coopération. Lire l’article
  4. France Stratégie (2023). Rapport annuel 2023. Repenser les modes de management pour soutenir l’engagement. Lire l’article

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