Manager dans une organisation en mutation constante
Tout change. Encore. Et encore. Réorganisations successives, nouvelles priorités stratégiques, fusions, transformations numériques : l’environnement professionnel des managers semble s’être figé dans une instabilité permanente. Mais derrière la rhétorique de l’agilité, un paradoxe se dessine : comment rester aligné, cohérent et crédible, quand les repères bougent sans cesse ?

L’adaptation permanente : une nouvelle norme managériale
Le management contemporain n’est plus celui des plans quinquennaux. Il est devenu celui du « en même temps » : absorber les injonctions contradictoires, intégrer des outils en version bêta, maintenir la motivation des équipes tout en justifiant l’injustifiable.
Selon l’Observatoire Amarok, l’épuisement professionnel touche désormais une majorité de cadres dirigeants, confrontés à un environnement mouvant et imprévisible [1].
« En quelques années, j’ai vu défiler les chefs de service. À chaque fois, on devait tout réorganiser, réapprendre, changer les priorités. Il n’y avait plus de continuité. »
(Bénédicte, ancienne manageuse dans le secteur hospitalier [2])
Cette instabilité structurelle fait naître une tension redoutable : s’adapter en permanence sans se perdre.
L’usure silencieuse de l’identité professionnelle
Loin des discours sur la résilience, de nombreux managers expriment une forme d’érosion identitaire. Ce n’est pas seulement la fatigue ou la charge qui pèse, mais la difficulté à rester soi dans un environnement qui change ses règles sans prévenir.
L’Observatoire Amarok parle d’épuisement adaptatif, une fatigue spécifique liée à l’effort constant d’ajustement. Contrairement au burn-out, il ne s’agit pas d’un effondrement brutal, mais d’une lente dilution de la clarté d’action et du sens [1].
L’authenticité, un luxe ou une boussole ?
Rester authentique ne veut pas dire tout dire, ni s’opposer frontalement. C’est tenir une ligne claire dans le flou, assumer ses positions sans jouer de rôle. Or, dans un système mouvant, ce cap devient difficile à maintenir.
Certaines entreprises, comme Isahit (plateforme d’impact social), ont mis en place des dispositifs de développement managérial centrés sur l’alignement entre valeurs personnelles et cap stratégique. Le programme inclut mentorat, coaching, et réflexions collectives pour redonner du sens à l’action [3]
Agir sur ce que l’on maîtrise : les micro-leviers d’alignement
Quand tout semble bouger, certains managers choisissent de se concentrer sur ce qu’ils peuvent encore stabiliser : les rituels d’équipe, la transparence sur les incertitudes, l’écoute sincère des signaux faibles.
« J’ai instauré une routine d’équipe tous les lundis matin, même en période de crise. Ça n’empêche pas les secousses, mais ça crée un point fixe. »
(Karim, manager d’agence bancaire, cité dans Proaction International [4])
Ce type de posture, lucide et ancrée, permet de conserver une forme d’ancrage professionnel. Il ne s’agit plus d’avoir des certitudes, mais d’offrir de la cohérence dans l’incertitude.
Et quand la structure empêche d’agir ?
Reste un impensé : certains environnements sont tout simplement trop instables ou incohérents pour permettre un management éthique et durable. Dans ces cas, la question n’est plus de s’adapter, mais de tenir une ligne rouge.
« J’ai quitté l’entreprise le jour où on m’a demandé de licencier une collègue pour motif économique… tout en embauchant en parallèle sur le même poste. »
(témoignage recueilli dans Welcome to the Jungle [2])
Ces décisions sont rarement faciles, mais elles révèlent une autre forme d’authenticité : celle de refuser l’absurde.
Conclusion
Manager dans une organisation en mutation constante, c’est tenir une posture d’équilibriste : assez souple pour rester en mouvement, assez ferme pour ne pas trahir ses repères. Mais cette posture a un prix. Et face à l’épuisement adaptatif, la vraie question n’est pas : « comment s’adapter encore ? », mais « jusqu’où rester, sans se renier ? »
À retenir
- L’instabilité organisationnelle génère un épuisement adaptatif, distinct du burn-out.
- L’authenticité managériale repose sur la cohérence d’action, pas sur la conformité.
- Les espaces d’expression et les rituels peuvent servir de points d’ancrage dans l’incertitude.
- Certains environnements structurels rendent l’alignement impossible : partir devient alors une forme de fidélité à soi-même.
- Les dispositifs d’accompagnement permettent d’amortir les effets des mutations à répétition.
Sources & références
- Observatoire Amarok (2021). Communiqué de presse : épuisement professionnel des dirigeants et managers en contexte de mutation. Lire l’article
- Welcome to the Jungle (2021). « J’ai le sentiment qu’on veut me pousser vers la sortie » : comment gérer ? Lire l’article
- Isahit (2023). Développer un management responsable dans un contexte d’impact social. Lire l’article
- Proaction International (2023). Le rôle du manager dans la gestion du changement : entre repères et incertitudes. Lire l’article
- Synapsys Groupe (2024). Change Manager : comprendre la fatigue du changement. Lire l’article