L’intention ne suffit pas : agir sur la structure pour faire bouger la culture
On vante les vertus de la « culture d’entreprise », on loue les « valeurs partagées »… mais on oublie souvent que ces dynamiques ne se transforment pas à coup de slogans. Sans action sur les structures, les pratiques ne bougent pas. Cet article explore pourquoi les meilleures intentions managériales échouent, et ce que peut vraiment faire un manager pour amorcer un changement culturel réel, depuis sa position.

La bonne volonté managériale ne suffit pas
C’est l’histoire d’un manager qui décide de renforcer la transparence. Il ouvre des espaces de parole, s’expose, invite les équipes à exprimer leurs doutes. Et découvre… qu’ils ne parlent pas. Ou pire : que certains se sentent encore plus en insécurité.
La scène, rapportée dans un épisode du podcast Le SAV du Manager [1], illustre une tension bien connue : l’intention sans structure crée l’illusion d’un changement. Si les rituels restent ambigus, si les évaluations continuent de sanctionner les écarts, si les processus ne soutiennent pas les nouvelles valeurs, alors la culture ne bouge pas.
« On avait écrit sur les murs qu’on valorisait l’audace. Et le jour où j’ai pris une initiative non validée, je me suis fait recadrer. » – Témoignage recueilli par Welcome to the Jungle [2]
La contradiction n’est pas toujours voulue. Mais elle s’installe. Et détruit lentement la crédibilité du discours.
La culture ne se décrète pas, elle se manifeste
La culture d’entreprise, ce n’est pas ce qu’on affiche dans le hall, c’est ce qu’on tolère en réunion. Ce n’est pas ce qu’on dit dans le livret d’accueil, c’est ce qu’on voit promu, mis en lumière, encouragé – ou sanctionné.
D’après l’Observatoire du Leadership de Proaction International, 64 % des salariés jugent que les valeurs affichées par leur entreprise ne sont pas incarnées dans les pratiques managériales [3]. Et pour cause : tant que la structure (process, règles, rythmes) reste identique, la culture reste stable.
Changer la culture, ce n’est donc pas un projet de communication. C’est une transformation systémique, progressive, incarnée dans les micro-décisions.
Le rôle paradoxal du manager intermédiaire
Le manager de proximité ou de niveau intermédiaire est souvent présenté comme le relais du changement. Mais dans les faits, il est aussi celui qui subit les injonctions contradictoires entre les valeurs affichées et les outils disponibles.
Un article de Clémence Richard sur LinkedIn résume bien la situation :
« Le management intermédiaire est le plus impacté par les transformations : on leur demande d’incarner une culture nouvelle, mais sans leur donner les leviers pour structurer leurs actions. » [4]
Le manager devient alors le traducteur d’un langage incohérent. Il doit motiver sans pouvoir ajuster les règles, responsabiliser sans capacité à récompenser ou sanctionner autrement que par les grilles existantes. C’est un paradoxe épuisant.
Agir à sa juste échelle
Faut-il en conclure qu’il ne peut rien faire ? Non. Mais il doit changer d’échelle d’intervention. Cesser de croire qu’une posture suffit. Et commencer à agir sur les interfaces structurelles qu’il peut influencer.
C’est ce qu’a entrepris une manager dans un cabinet de conseil, citée dans MyRHline [5] : confrontée à une dissonance forte entre discours d’équipe bienveillante et culture de performance individuelle, elle a ciblé ce qu’elle pouvait vraiment faire évoluer. Elle a commencé par retravailler les critères de reconnaissance informels. Qui est mis en avant ? Pour quelles pratiques ? Dans quelles réunions ? Qui prend la parole en premier ? À quelle fréquence valorise-t-on une initiative collective plutôt qu’un résultat individuel ?
En instaurant un rituel hebdomadaire de retour d’expérience où l’équipe élisait l’action la plus utile de la semaine, elle a déplacé les représentations implicites de la performance. En moins de six mois, plusieurs collaborateurs ont eux-mêmes proposé de revoir les objectifs trimestriels en intégrant des critères collaboratifs.
Autre levier : les rituels collectifs. Modifier l’ordre du jour d’une réunion pour inclure un temps de retour d’expérience. Réorganiser un séminaire pour qu’il donne la parole aux plus silencieux. Agir sur ces micro-structures, c’est enclencher un changement lent… mais durable.
De l’intention à la responsabilité systémique
On confond souvent sincérité et efficacité. Vouloir bien faire, ce n’est pas suffisant. La transformation passe par l’alignement des discours, des pratiques et des règles.
La chercheuse Marie-José Avenier insiste sur ce point dans une publication académique :
« Ce n’est pas la volonté individuelle qui transforme la culture, mais la capacité à structurer des interactions qui la rendent observable et donc modifiable. » [6]
En d’autres termes, vouloir une culture de la coopération sans modifier les critères de performance, c’est comme vouloir faire pousser des plantes sans changer la terre. L’intention est là, mais l’écosystème reste stérile.
Conclusion
Le manager n’est ni un gourou, ni un exécutant passif. Il est un acteur structurel, à condition qu’il accepte de penser son action au-delà de l’intention. C’est en modifiant les petites règles, les signaux quotidiens, les rituels et les critères implicites qu’il peut enclencher une transformation réelle.
Car la culture d’entreprise ne change pas à coup de valeurs collées au mur, mais par la façon dont on salue, décide, récompense ou écoute. Et à ce jeu-là, chaque manager peut faire levier – s’il choisit de structurer son intention.
À retenir
- 64 % des salariés estiment que les valeurs affichées ne sont pas incarnées dans les pratiques [3].
- Le manager intermédiaire est pris entre injonctions culturelles et règles contradictoires [4].
- Modifier les rituels et les signaux faibles permet d’initier un changement culturel réel [5].
- La transformation culturelle passe par la structuration des interactions [6].
- L’intention n’est qu’un point de départ : seule l’action sur la structure rend le changement crédible.
Sources & références
- Le SAV du Manager (2024). Épisodes podcast Cadremploi – Dilemmes managériaux. Écouter les épisodes
- Welcome to the Jungle (2023). “Définition et réalité de la culture d’entreprise.” Lire l’article
- Proaction International (2024). Observatoire du Leadership – blog performance. Lire le blog
- Richard, C. (2021). Le management intermédiaire face aux nouvelles transformations. Lire l’article
- Linares, A. (2024). Quand la transparence salariale viendra redéfinir la culture d’entreprise. Lire l’article
- Avenier, M.-J. (2007). Repères pour la transformation d’expérience en science avec conscience. In M.-J. Avenier & C. Schmitt (Eds.), La Construction de Savoirs pour l’Action (pp. 140-170). Paris: L’Harmattan. Lire la publication