Le management à votre image : rester soi-même face à 4 générations
« Tu peux me tutoyer… sauf devant l’équipe ». Cette phrase, glissée dans un couloir par une collaboratrice de 25 ans à sa nouvelle manager, 42 ans, résume à elle seule le défi du management intergénérationnel. Comment rester fidèle à soi-même quand chaque génération attend autre chose du manager : proximité ou distance, feedback immédiat ou évaluation formelle, souplesse ou clarté des règles ? Ce dilemme, loin d’être théorique, façonne aujourd’hui la posture managériale au quotidien. Et bouscule les repères.

« Tu peux me tutoyer… sauf devant l’équipe »
Claire vient de prendre la tête d’un service dans un hôpital public. À 42 ans, elle succède à un cadre parti en retraite, après 30 ans dans l’établissement. Son équipe ? Un mélange de générations : une infirmière de 25 ans très engagée, un manipulateur radio de 59 ans proche de la retraite, un duo d’aides-soignants d’une quarantaine d’années, et deux nouvelles recrues en contrat d’alternance.
Dès la première semaine, le ton est donné. « Tu peux me tutoyer si tu veux… mais pas devant l’équipe », lui souffle l’infirmière en aparté. Claire est déstabilisée. Elle pensait incarner une posture souple et accessible, mais elle comprend qu’ici, tout se joue dans des codes implicites. « La manière de se saluer, de formuler une demande, de faire une remarque… Chaque génération semble attendre une chose différente. Et moi, je ne voulais pas jouer un rôle. »
Ce dilemme est devenu un véritable défi de posture pour nombre de managers.
Le mythe du caméléon
Adapter son style à ses interlocuteurs n’est pas nouveau. Mais avec quatre générations présentes dans les organisations – Baby-boomers, Génération X, Millennials, Génération Z –, le grand écart s’intensifie. Et les attentes se polarisent.
Selon une étude Malakoff Humanis, 62 % des managers estiment devoir sans cesse adapter leur posture selon l’âge ou les attentes de leurs collaborateurs [1]. Mais à force de s’adapter, certains s’interrogent : à quoi ressemblera mon style managérial demain ? Suis-je encore cohérent dans mes intentions ? Ou en train de me contorsionner pour plaire à tous ?
Thomas, manager dans une ESN de 35 ans, dirige une équipe atypique : un développeur de 24 ans, une cheffe de projet de 50 ans, un consultant senior de 62 ans. « J’ai l’impression d’être un acteur. L’un veut du feedback en temps réel, l’autre réclame un reporting hebdo structuré. Je suis sans cesse en train de traduire. »
L’APEC confirme ce décalage : 40 % des cadres déclarent avoir modifié leur manière de manager au contact de la Génération Z, avec une crainte récurrente : perdre en autorité ou brouiller le cadre [2].
Une pression asymétrique
Cette capacité d’adaptation est rarement symétrique. Le manager, censé incarner la stabilité, est souvent celui qui s’ajuste en premier. Ce déséquilibre alimente une fatigue relationnelle, parfois invisible.
Franck, 52 ans, dirige une équipe R&D de 12 personnes chez Sanofi. « Je tutoie tout le monde, je m’habille en jean, mais je reste exigeant sur les délais. Certains jeunes m’adorent pour ma proximité, d’autres me trouvent “vieux jeu” quand je refuse le télétravail à 100 %. Je me demande parfois si je ne joue pas un rôle. »
À force d’ajustements, le risque est réel : celui de s’effacer derrière une posture trop consensuelle. Une enquête de Bpifrance Le Lab montre que 49 % des managers interrogés redoutent de “perdre leur style personnel” face aux nouvelles attentes générationnelles [5].
Entre adaptation et alignement
Face à ces tensions, plusieurs entreprises ont engagé un travail en profondeur sur la cohérence managériale.
Chez Thales, un programme interne aide les managers à définir leur “signature managériale” : un style aligné sur leurs convictions, mais lisible et adaptable. Il ne s’agit pas d’imposer une posture unique, mais de clarifier ce que l’on veut incarner, y compris dans la manière de donner du feedback ou de fixer un cadre.
De même, chez Sanofi, des ateliers intergénérationnels permettent de verbaliser les attentes, d’expliciter les incompréhensions, et de mettre en lumière les non-dits. Ces espaces de discussion offrent un levier essentiel pour sortir de la projection mutuelle.
La formation joue aussi un rôle clé. La Cegos propose aujourd’hui des modules spécifiquement centrés sur la gestion intergénérationnelle, avec des outils concrets pour ajuster sa posture sans trahir ses repères [6].
Le traducteur aligné
Face à quatre générations, il ne s’agit ni de se figer, ni de s’effacer. Mais de trouver un axe : ce qui dans notre posture, nos valeurs, notre manière de décider, reste stable. L’authenticité managériale n’est pas l’expression brute de soi, mais une cohérence dans le temps.
Un manager de 45 ans ayant participé à un atelier de co-développement avec Bpifrance témoigne : « J’ai compris que je n’avais pas à correspondre à chaque attente. Mais que je devais rendre lisible mes intentions. Aujourd’hui, je prends le temps d’expliquer pourquoi je donne du feedback de telle façon. »
C’est cette posture de “traducteur aligné” – capable d’ajuster la forme tout en tenant un cap – qui émerge comme réponse à la complexité générationnelle.
Conclusion
Rester soi-même face à quatre générations différentes n’est pas une posture confortable. C’est un acte de discernement continu. Ce n’est pas la rigidité qui protège, mais la cohérence dans l’ajustement. Et cette cohérence suppose d’assumer un style, de l’expliquer, de le faire évoluer, sans renier ses repères.
Le manager intergénérationnel n’est pas un caméléon : c’est un traducteur aligné. Et cette traduction commence par une parole claire sur ce qu’on incarne.
À retenir
- L’adaptation managériale devient un enjeu central face à la diversité des générations.
- Le risque d’effacement identitaire augmente quand le manager sur-ajuste ses postures.
- Des entreprises comme Sanofi ou Thales proposent des repères pour construire une “signature managériale”.
- La cohérence des intentions, plus que la conformité aux attentes, renforce la légitimité.
- La posture de “traducteur aligné” offre un cadre durable face aux tensions générationnelles.
Sources & références
- Malakoff Humanis (2023). Baromètre Santé des salariés 2023. Étude menée auprès de 3 500 salariés, met en lumière les défis relationnels liés à l’intergénérationnel. Lire l’étude
- APEC (2023). Fidélisation de la Gen Z, mode d’emploi. Analyse des attentes managériales des jeunes générations. Lire l’article
- Sanofi (2024). Cultiver le dialogue entre générations. Exemple d’atelier de transmission intergénérationnelle. Lire l’article
- Terra Nova (2023). Le management intergénérationnel, un levier sous-exploité. Recommandations pour les organisations. Lire l’article
- Bpifrance Le Lab (2023). Manager à l’ère des paradoxes. Étude sur les tensions vécues par les managers. Lire l’étude
- Cegos (2023). Gérer une équipe intergénérationnelle. Formation continue sur les postures adaptées. Lire l’article
- Thales Group (2024). Des managers à leur image. Exemple de programme de développement managérial. Lire l’article