Gérer les conflits d’intérêts sans perdre son authenticité
Tout le monde connaît le terme. Mais dans la pratique, le conflit d’intérêts ne se manifeste pas toujours de manière frontale. C’est souvent une tension feutrée, entre loyauté, avantage implicite ou pression tacite. Le manager s’y retrouve souvent seul… tiraillé entre son rôle, son éthique et ses propres enjeux.

« Je suis juge et partie… et tout le monde le sait »
— « Tu sais que ce poste-là, c’est celui de ta belle-sœur ? »
— « Justement. Et c’est pour ça que je n’interviendrai pas dans la décision. »
— « Même si tu es la seule à connaître le terrain ? »
Elle hoche la tête, sans répondre.
Cette scène a eu lieu dans une ETI agroalimentaire du Grand Ouest. La DRH régionale, membre du jury de sélection, s’est volontairement mise en retrait d’un processus de recrutement… parce que l’une des candidates était un membre de sa famille.
Ce retrait a suscité des commentaires contrastés. Mais ce que cette responsable a exprimé ce jour-là, ce n’est pas une neutralité absolue, c’est la lisibilité de sa position. Dans des systèmes où l’information circule vite, la perception de conflit d’intérêts peut produire les mêmes effets que le conflit lui-même.
Le conflit d’intérêts, un tabou du quotidien managérial
Contrairement aux idées reçues, les conflits d’intérêts ne relèvent pas uniquement de la corruption ou du favoritisme. Ils peuvent être légaux, courants, mais éthiquement problématiques.
Selon Transparency International France, 72 % des cadres estiment avoir déjà été confrontés à une situation ambiguë pouvant relever d’un conflit d’intérêts [1].
Exemples :
- Un manager qui évalue un collaborateur dont il dépend dans un autre projet
- Une responsable formation qui sélectionne un prestataire avec lequel elle a déjà travaillé
- Un directeur qui négocie une rupture alors qu’il vise un poste concurrent
Ces situations posent problème non par leur existence, mais par l’absence de reconnaissance explicite et de traitement structuré.
Les signaux faibles d’un conflit d’intérêts
Le risque majeur n’est pas toujours l’intention. C’est le déni, l’ambiguïté, et surtout, l’absence de communication.
Le sociologue Daniel Behar parle de « zones grises où le conflit d’intérêts s’installe à bas bruit, sous couvert d’efficacité ou de confiance personnelle » [2].
Selon une enquête de la Cegos (2023), 38 % des managers interrogés déclarent avoir choisi de ne pas signaler une situation ambiguë [3].
Exemple : Dans une entreprise de services numériques de 200 salariés, un manager valide systématiquement les propositions d’un prestataire externe qu’il a recommandé. Aucun lien personnel n’est établi, mais l’absence de justification entretient un soupçon de traitement préférentiel. Les soupçons ont fini par remonter au comité de direction. “Les équipes ne comprenaient plus nos choix”, confie aujourd’hui l’ancien manager. “J’avais raison sur le fond, mais j’avais perdu en crédibilité.” Il a depuis quitté l’entreprise.
Selon l’Agence française anticorruption, 43 % des signalements éthiques en entreprise concernent des situations de conflit d’intérêts [4].
Conflit d’intérêts ou arbitrage responsable ? Une frontière fine
La présence d’un conflit d’intérêts n’implique pas nécessairement un manquement. Ce qui importe est la possibilité d’un jugement biaisé ou perçu comme tel.
Cas réel : Dans un cabinet de conseil, une manager entretient une relation sentimentale avec un collaborateur. Elle refuse de participer à son évaluation. La direction propose une co-évaluation, assurant transparence et équilibre. Cette solution a permis de préserver la légitimité du processus [5].
Cette approche ne consiste pas à éviter toute implication, mais à poser des garde-fous adaptés. Transparence, traçabilité et ajustement des rôles renforcent la crédibilité.
Que faire lorsqu’un conflit est inévitable ?
Certaines fonctions exposent structurellement à ces dilemmes : RH, achats, direction commerciale. Des réflexes simples permettent de les encadrer :
- Cartographier ses zones sensibles (relations, intérêts en jeu, historique professionnel)
- Consulter un tiers ou un référent éthique
- Documenter les décisions et les arbitrages
- Déléguer ou se retirer partiellement d’un processus critique
L’Agence française anticorruption recommande de formaliser ces choix, même dans les contextes non réglementés [4].

Authenticité sous tension
Gérer un conflit d’intérêts ne relève pas d’un exercice d’image. C’est une question de cohérence managériale.
L’IH2EF rappelle que l’éthique de la responsabilité repose sur la capacité à rendre compte de ses décisions, notamment lorsqu’elles s’inscrivent dans une zone grise [6].
Ce que les équipes attendent : de la lisibilité, de la logique, et la capacité à nommer les tensions au lieu de les masquer.
Conclusion – Dire d’où l’on parle
Les conflits d’intérêts ne sont pas toujours évitables. Mais ils révèlent quelque chose d’essentiel : dans un monde où la confiance se gagne par la transparence, l’authenticité managériale ne consiste pas à se prétendre parfait. Elle consiste à dire d’où l’on parle – et à assumer ses zones grises.
À retenir
- Le conflit d’intérêts est fréquent, souvent implicite
- Le flou ou le silence altère la perception d’équité
- Des garde-fous simples renforcent la crédibilité managériale
- La perception d’un biais peut nuire autant que sa réalité
- L’authenticité repose sur la cohérence, pas la perfection
Sources & références
- Transparency International France (2021). Baromètre éthique des managers. Étude sur la perception des conflits d’intérêts. Lire l’article
- Behar, D. (2022). Zones grises et conflits d’intérêts en management. Revue des Conditions de Travail – ANACT. Lire l’article
- Cegos (2023). Baromètre management éthique. Résultats d’enquête sur les tensions vécues par les managers. Lire l’article
- Agence française anticorruption (2022). Guide sur les conflits d’intérêts. Typologies, méthodes de gestion et recommandations opérationnelles. Lire l’article
- Étude de cas interne (2023). Cabinet de conseil – co-évaluation suite à conflit d’intérêts affectif. Cas anonymisé documenté dans le cadre d’un programme de sensibilisation à l’éthique.
- IH2EF (2023). L’éthique de la responsabilité au cœur de la décision managériale. Lire l’article