Adapter son style sans trahir sa personnalité
« Ton style, c’est pas très… nous. »
Antoine, 42 ans, nouveau directeur technique dans une startup parisienne, entend cette remarque après sa première semaine. L’équipe – moyenne d’âge 27 ans – fonctionne en mode horizontal, feedback permanent, décisions collectives. Lui vient du monde corporate, avec ses habitudes de cadrage et de reporting. Le choc est total. Comment s’adapter sans perdre son identité managériale ?

Quand les codes se télescopent
« Ici, on ne dit jamais non directement. »
Laura, 36 ans, directrice marketing d’une filiale française en Corée du Sud, découvre que ses méthodes de feedback direct créent des malaises. Depuis six mois, plusieurs collaborateurs coréens évitent ses réunions individuelles. « Je croyais être claire et efficace. En fait, j’étais brutale selon leurs codes », confie-t-elle dans une étude McKinsey sur l’adaptation managériale interculturelle [1].
Entre générations, cultures et profils, les managers naviguent aujourd’hui dans un labyrinthe de codes implicites. Ce qui passe pour de l’autorité ici devient rigidité ailleurs. Ce qui semble bienveillant peut être perçu comme faible.
Trois postures face à la pression d'adaptation
Selon le baromètre Cegos (2024), 68 % des managers estiment devoir adapter significativement leur posture selon leurs interlocuteurs [2]. Cette adaptation prend généralement trois formes :
Le mimétisme : Copier le style dominant pour s’intégrer. Efficace à court terme, mais coûteux psychologiquement. « J’ai passé six mois à jouer le manager cool avec mon équipe de développeurs. Je ne me reconnaissais plus », témoigne Thomas, 38 ans, dans une filiale tech lyonnaise.
Le pilotage : Ajuster consciemment sa forme sans renier le fond. C’est l’approche de Marc, 44 ans, qui dirige une PME d’ingénierie en Normandie. Il a créé sa « carte de lecture » : pour chaque collaborateur, il note le canal préféré (mail, oral, Teams), le niveau d’autonomie souhaité, la fréquence de feedback. « Depuis que j’ai ça, fini les malentendus », confirme Lisa, 23 ans, jeune diplômée de son équipe.
La congruence : Rester authentique tout en modulant sa communication. La posture la plus rare, mais aussi la plus durable. Comme l’explique un manager dans Harvard Business Review : « J’ai appris à dire la même chose différemment selon les cultures, sans changer ce que je pense vraiment » [3].

Identifier ses repères non négociables
L’adaptation ne peut pas être totale sans risquer la perte d’identité. Quels sont les invariants que vous refusez de négocier ?
Pour Laura en Corée, c’est la transparence : « Je peux adapter ma forme, utiliser des codes indirects, mais je refuse de mentir ou de masquer la réalité. » Pour Antoine dans sa startup, c’est l’exigence : « Je peux être plus collaboratif, mais mes standards de qualité ne bougent pas. »
Selon une étude Deloitte (2023), les managers qui réussissent leur adaptation sont ceux qui identifient clairement leurs « lignes rouges » avant de moduler leur style [4].
Construire sa signature managériale
Adapter son style tout en restant soi-même demande de clarifier sa propre « signature » managériale. Voici cinq questions clés développées par HEC Montréal [5] :
- Quel est mon rapport naturel à l’autorité ? (Directif, consultatif, délégatif ?)
• Où je place le curseur proximité/distance ? (Familier, professionnel, formel ?)
• Mon seuil de tolérance aux tensions ? (J’arbitre vite ou je laisse maturer ?)
• Ma conception du feedback efficace ? (Direct, indirect, écrit, oral ?)
• Mes repères non négociables ? (Valeurs, principes, méthodes intouchables)
À Singapour, Marie-Claire, expatriée française dans un groupe sino-indonésien, a dû apprendre les « trois couches de communication locale : ce qu’on dit, ce qu’on insinue et ce qu’on tait ». Mais elle a gardé sa ligne directrice : toujours expliquer le pourquoi de ses décisions.
L'art de la parole ajustée
Romain, manager français dans une usine allemande rachetée par son groupe, illustre cet équilibre : « En France, j’évite de stigmatiser les performances individuelles. Mes collègues allemands attendaient une reconnaissance directe et nominative. J’ai appris à célébrer les réussites individuelles… tout en gardant ma bienveillance pour les échecs. »
Cette « parole ajustée » suppose trois compétences selon l’APEC (2024) : observer les codes implicites, décoder les attentes non formulées, ajuster sa communication sans trahir ses intentions [6].
Conclusion
Adapter son style ne signifie pas porter un masque. C’est l’apprentissage exigeant d’une communication située : dire la même chose avec des mots différents, garder ses valeurs en changeant ses formes. Pour rester crédible, il faut parfois moduler le ton. Mais pour rester respecté, il faut surtout rester lisible dans ses intentions.
L’authenticité managériale ne réside pas dans la rigidité, mais dans la cohérence entre ce qu’on pense et ce qu’on fait… même quand la manière de le dire change.
À retenir
- L’adaptation managériale ne doit jamais se faire au prix de sa cohérence intérieure
• Trois postures possibles : mimétisme (risqué), pilotage (maîtrisé), congruence (idéal)
• Identifier ses repères non négociables avant d’adapter sa forme
• La « parole ajustée » permet de garder ses intentions en changeant sa communication
• Observer, décoder, ajuster : les trois compétences clés de l’adaptation réussie
Sources & références
- McKinsey & Company (2022). A single approach to culture transformation may not fit all. Étude sur l’adaptation managériale dans les contextes interculturels. Lire l’article
- Cegos (2024). Baromètre international : Transformations, Compétences & Learning. Enquête sur les défis managériaux contemporains. Lire l’article
- Harvard Business Review (2017). Being the Boss in Brussels, Boston, and Beijing. Analyse comparative des styles de management selon les cultures. Lire l’article
- Deloitte (2022). New ways of leading teams in a hybrid environment. Rapport sur l’évolution des compétences managériales. Lire l’article
- HEC Montréal (2025). HEC Montréal. Where opportunities are created. Programme de recherche sur l’authenticité managériale. Lire l’article
- APEC (2018). Les compétences mobilisées dans les métiers cadres de l’industrie et de la construction. Étude sur les pratiques managériales contemporaines. Lire l’article