Innovation managériale : copier ou inventer son style ?

S’inspirer d’ailleurs, oui. Mais se perdre en route, non. Derrière les injonctions à innover en management se cache un dilemme : comment évoluer sans se renier ? Cet article explore les impasses du mimétisme et les chemins d’une innovation fidèle à soi.

Innovation managériale : copier ou inventer son style ?

« Je ne me reconnaissais plus dans ce que je faisais »

C’est un aveu discret, presque coupable. Amel, responsable d’équipe dans un réseau associatif national, revient sur une période de doute :

« On avait suivi une formation sur les méthodes agiles. J’ai voulu tout appliquer. Post-its, stand-up meetings, sprints… sauf que mon équipe ne suivait pas. Et moi, je me suis retrouvée à jouer un rôle. »

Ce qu’Amel met en mots, beaucoup de managers le vivent sans toujours l’identifier : l’innovation managériale devient parfois un costume mal taillé. Une panoplie empruntée à d’autres, dans l’espoir d’être à la hauteur des tendances.

Mais à force de vouloir bien faire, on en oublie parfois qui l’on est.

Le fantasme des « modèles qui marchent »

L’expression « best practices » est rassurante. Elle suggère qu’il suffirait de reproduire un schéma éprouvé pour obtenir les mêmes résultats. Mais le management n’est pas une recette. C’est une relation. Et dans une relation, le contexte fait tout.

Une étude de l’Université de Lausanne (2023) montre que 73 % des innovations managériales échouent lorsqu’elles sont transposées sans adaptation culturelle [1]. Le chiffre parle de lui-même. Ce qui fonctionne dans une scale-up californienne peut produire l’effet inverse dans une collectivité territoriale française. Non par résistance au changement, mais par incompatibilité de fond.

C’est ce que rappelle aussi Philippe Silberzahn, professeur à l’EM Lyon :

« La véritable innovation managériale n’est pas dans les outils. Elle est dans la capacité à interroger son propre cadre de référence » [2].

L’innovation imposée, ou le malaise de l’imposture

Le plus grand danger du mimétisme, ce n’est pas l’échec. C’est le décalage intérieur qu’il génère.

Claire, cadre dans un centre hospitalier, a expérimenté ce flottement :

« On nous a demandé d’animer des réunions inversées, où les décisions viennent du terrain. Mais sans nous former. On lisait un script, sans y croire. Je n’étais plus alignée. »

Ce désalignement n’est pas anodin. Selon une enquête menée par Malakoff Humanis et Ifop (2023), 49 % des managers disent ressentir une perte de légitimité lorsqu’ils appliquent des méthodes qu’ils ne comprennent pas pleinement [3].

Autrement dit : l’innovation mal incarnée peut devenir une source de désengagement, voire de dissonance éthique.

Le vrai courage : partir de soi

L’enjeu n’est pas de rejeter toute nouveauté. Il est de l’approprier avec sincérité.

C’est le choix fait par Vincent, manager dans une entreprise de logistique de 250 salariés en Auvergne. Face à la montée des tensions interservices, il s’inspire des principes de coopération issus du lean management. Mais il les réécrit à sa manière : sans jargon, sans tableau de bord, en partant des récits de terrain.

« J’ai pris ce qui faisait sens pour moi, pas ce qui faisait joli dans un rapport d’audit. »

L’innovation managériale ne réside pas dans la rupture spectaculaire. Elle émerge souvent d’un geste sobre mais juste : ajuster un rythme de réunion, reformuler un objectif, faire évoluer un rôle en respectant les identités en jeu.

Le contexte, toujours le contexte

Certaines entreprises l’ont compris. À l’instar du groupe coopératif Up, qui a engagé une transformation managériale progressive en associant syndicats, managers et collaborateurs dès la phase de conception. L’objectif ? Créer un système où la logique participative ne se décrète pas, mais se construit avec les codes de l’entreprise [4].

Cette logique est confirmée par les travaux de François Pichault, professeur à HEC Liège :

« L’innovation managériale ne peut être dissociée de son écosystème. La transposition sans traduction est vouée à l’échec » [5].

Cultiver une écologie de l’innovation

Le mot est rarement associé au management, et pourtant : l’écologie pourrait bien être la métaphore la plus pertinente. Innover sans s’arracher à ses racines. Faire évoluer les pratiques sans abîmer les repères. Inventer, oui, mais en respectant le vivant.

Cela suppose :

  • De ralentir, pour observer finement le terrain

  • De questionner ses intuitions plutôt que de plaquer des recettes

  • D’assumer que toute évolution réveille des tensions identitaires

  • Et surtout, de préférer la cohérence à la conformité

Conclusion

L’innovation managériale ne consiste pas à appliquer le dernier modèle à la mode. Elle commence quand un manager ose se demander : qu’est-ce qui fait sens ici, avec ces personnes, dans ce contexte ?

Il n’y a pas de style idéal. Il y a des styles incarnés.

Et peut-être est-ce cela, innover en management : cesser de vouloir être un autre pour mieux devenir soi-même.

À retenir

  • Les « best practices » sans adaptation peuvent générer plus de confusion que de progrès.
  • Une innovation non incarnée fragilise la légitimité du manager.
  • Le mimétisme est un piège fréquent, notamment dans les organisations en quête de modernité.
  • La clé d’une transformation durable est l’appropriation, pas la reproduction.
  • Innover sans se renier suppose de partir de soi, pas des autres.

Sources & références

  1. Université de Lausanne (2023). Pratiques managériales innovantes : 73 % d’échecs sans adaptation culturelle. Enquête comparative sur 80 entreprises européennes. Lire l’article
  2. Silberzahn, P. (2021). Innover en management : sortir de la fascination technicienne. Blog personnel. Lire l’article
  3. Malakoff Humanis & Ifop (2023). Baromètre Managers. Tensions, engagement et innovation managériale. Lire l’article
  4. Groupe Up (2022). Gouvernance participative et co-construction : le modèle Up. Étude de cas. Lire l’article
  5. Pichault, F. (2020). L’innovation managériale est une affaire de contexte. Revue Gestion. Lire l’article

Partager cet article à votre réseau